Chers lecteurs, vos serviteurs du collège du site Pessac reprennent la
plume, après une si longue absence, pour vous narrer les chroniques
universitaires de cette merveilleuse nouvelle année. Merveilleuse ? Parce
qu’elle nous réserve de fabuleuses aventures, comme toujours pleines de bon
sens et d’agréables surprises.
La première trouvaille de l’année, je nomme : les sélections en master.
Enfin ! Du fin fond de son palais luxuriant, notre bon roi a daigné poser
son regard sur la déconfiture de son service public universitaire. Mais
rassurez-vous, il est resté fidèle à ses convictions, il nous a pondu une loi
pour le faire tomber encore plus vite, et obtenu par la même occasion le
soutien inconditionnel de ses vassaux bordelais.
Un Chat, nommé Rodilardus,
Faisait de Rats telle
déconfiture
Que l'on n'en
voyait presque plus,
Tant il en avait mis dedans la sépulture.
Le peu qu'il en restait, n'osant quitter son trou,
Ne trouvait à manger que le quart de son soûl ;
Et Rodilard passait, chez la gent misérable,
Non pour un Chat,
mais pour un Diable.
Vous comprendrez bien, chers lecteurs, que devant une si grande
nouvelle, je ne peux rendre compte de cette séance de manière exhaustive. Aussi,
je n’entrerai pas dans les détails des autres points « discutés »,
comme la nouvelle unité professionnalisante en droit, le vote des statuts de l’IAE,
la présentation des nouvelles modalités de stage, du projet de plateforme
numérique de réorientation des étudiants en difficulté et la mise en place du
système de base de données Bloomberg acheté pour des sommes exorbitantes à un
millionnaire américain qui s’économisera les impôts en France. Vous en conviendrez,
rien de très exaltant.
Or, un jour qu'au haut et au loin
Le Galand alla
chercher femme,
Pendant tout le sabbat qu'il fit avec sa dame,
Le demeurant des Rats tint chapitre en un coin
Sur la nécessité présente.
Autour de la table, les esprits sont donc prêts, c’est flagrant, à
aborder la question polémique de la sélection en master. Ou « recrutement »,
comme le souligne notre cher directeur de collège, seigneur Grard, qui pense qu’une
subtilité sémantique apaisera la colère de vos serviteurs éclairés. Soyez
rassurés, il se trompe.
Petit détail pour dresser un tableau fidèle : ni Sieur Maveyraud,
directeur adjoint au collège, ni Sieur Blancheton et Sieur Cazal,
respectivement directeur et directeur adjoint du conseil de faculté d’économie-gestion-AES,
ne se sont déplacés. Les fervents partisans du projet de sélection ne pourront
donc pas le défendre, malgré leur dévouement remarqué en conseil de faculté
pour le faire voter. Cela fait mauvais genre. Preuve de l’intérêt qu’ils
portent à ce projet raisonnablement indéfendable. Si débâcle il doit y avoir,
Sieur Grard se trouvera bien seul.
Pour récapituler, la loi de décembre 2016 autorise (et n’impose pas,
comme ces techniciens voudraient nous faire croire) la sélection à l’entrée du
deuxième cycle jusque-là illégale. Cette loi s’applique à tous les masters 1,
sauf ceux de droit protégés jusqu’en 2018 par un régime dérogatoire. La loi
prévoit la mise en place d’un portail d’information sur tous les masters de France
et de Navarre et leurs conditions d’admission.
Jusque-là le plan semble parfaitement ficelé, seulement voilà :
il reste flou sur un certain nombre de points cruciaux, tels que la garantie du
droit à la poursuite des études dans le parcours choisi, les modalités de
recrutement et bien d’autres encore. C’est donc sans scrupule ni rigueur juridique
que Sieur Grard soumet à son assemblée un projet modifiable à souhait après le
vote. De toute façon, nous avoue-t-il d’un air faussement triste, le collège n’a
pas de pouvoir décisionnaire sur ce genre de question, pieds et poings liés qu’il
est aux diaboliques CFVU et CA. Décidément, le collège n’est jamais
responsable de ce qu’il impulse… C’est commode.
Dès l'abord, leur Doyen, personne fort prudente,
Opina qu'il fallait, et plus tôt que plus tard,
Attacher un grelot au cou de Rodilard ;
Qu'ainsi, quand
il irait en guerre,
De sa marche avertis ils s'enfuiraient sous terre ;
Qu'il n'y savait
que ce moyen.
Chacun fut de l'avis de Monsieur le Doyen ;
Chose ne leur parut à tous plus salutaire.
La difficulté fut d'attacher le grelot.
Dame Bertin, directrice adjointe, se lance la première. Elle nous
présente un tableau un peu maigre, avec quelques chiffres sommaires. Elle tente
de devancer les éventuels arguments d’opposition en nous assurant que les
capacités d’accueil étant plus larges que les effectifs de l’année 2016-2017,
ils ne créeront pas de réelle sélection. Ce qui n’est par ailleurs que
partiellement vrai. L’enfumage commence.
Votre valeureux serviteur consulte immédiatement les documents plus
détaillés qu’il s’est procuré auprès du conseil de faculté d’économie-gestion-AES
(où le projet a été validé en amont). Il est d’ailleurs le seul à s’être
débrouillé pour les trouver, le conseil de collège se gardant bien de les
distribuer à tous les membres de peur qu’ils n’aient trop de raisons de
contester. Votre serviteur relève la première incohérence : si la loi autorise
la sélection en master 1, elle ne légalise pas celle en master 2. Pourtant,
dans les documents apparemment confidentiels, les capacités d’accueil en master
2 sont précisées et même inclues à celles de master 1. Double sélection ?
Sélection en master 2 déguisée ? Nous nous interrogeons, mais Sieur Grard
vole vite à notre secours : ce n’est pas une sélection mais une « réorientation ».
Il a visiblement choisi de poursuivre sa bataille sémantique pour essayer de
sauver la face.
Les baladins d’Esprit Etudiant se réveillent : qu’en est-il des
redoublants en master 1 ? Notre directeur botte en touche, aucune
transition n’est prévue, et il n’a pas non plus d’idée.
Les doctorants demandent la parole pour soulever un troisième problème.
Dans le cas où les étudiants d’AES seraient refusés en master d’économie, ils
se retourneront légitimement vers le droit qui ne souffre pas de sélection ;
ce qui risque de surcharger (encore plus !) la filière droit. Sieur Grard
est décontenancé et ne trouve rien d’autre à leur reprocher que leur
pessimisme. Un peu léger. Nous reposons la question pour obtenir des
précisions. Cette fois-ci c’est le seigneur Saint Pau, directeur de la faculté
de droit, qui se lance, peu serein. Il avoue : effectivement il n’avait
pas anticipé cette question… Malaise. Mais heureusement, il trouve vite une
pirouette. Un étudiant d’AES peut légitimement demander son entrée en droit,
mais il sera sûrement refusé par la commission d’équivalence. La commission d’équivaquoi ?
Encore une vaste fumisterie déterrée des tréfonds de l’imaginaire des membres
du conseil peu au fait de la réglementation en vigueur. Mais qui prouve une
fois de plus la volonté affirmée des professeurs de droit de préserver leur
cercle fermé de juristes élitistes ! Que Sieur Grard confirme sans gêne.
Le chevalier Pariente s’insurge à son tour et le ton monte d’un cran.
Comment peut-on chercher à recaler les AES en droit, à moins de vouloir
définitivement détruire toute perspective de débouchés de la filière ? Sur
ce point nous sommes d’accord. Mais notre directeur qui vient de perdre un
point, se vexe et retourne sa houppelande : nous l’avons mal compris, il
parlait de l’entrée en économie ! Argument hasardeux, qui n’a pas plus de
sens que le premier. En termes de joute verbale, l’assemblée a vu meilleur
candidat.
Sieur Saint Pau tente de voler à son secours : les AES ne peuvent
aller qu’en économie, preuve en est l’appartenance de la filière à la fac d’économie-gestion
(ce qui, soit dit en passant, n’a pas toujours été…). Un petit tour sur le site
de l’université nous prouvera vite le contraire : tout titulaire d’une
licence de droit, d’AES ou de LAP peut faire une demande d’admission. Décidément,
tous les moyens sont bons pour noyer le poisson, et pas que les plus honnêtes.
Le chevalier Pariente rétorque : cette sélection en master d’économie
a nécessairement des impacts sur la filière de droit, il s’agirait de prendre
le problème dans sa globalité avant de se prononcer. Mais personne ne se sent
concerné. L’agitation naissante retombe et la passivité et l’incompétence
reprend sa place confortable autour de la table.
Votre serviteur relance : les capacités d’accueil établies sont
basées sur le nombre d’inscrits durant l’année en cours, mais ne tiennent compte
ni de la hausse du nombre d’étudiants chez les générations à venir, dont la
courbe ne cesse de monter depuis quelques années, ni du problème de visibilité
qu’ont connue les plaquettes de master l’an dernier qui n’a pas incité les
étudiants à s’inscrire. Il y a fort à parier que ces capacités seront beaucoup
trop restreintes pour les années qui arrivent. L’assemblée opine du chef, mais personne
ne réagit, encore une fois.
OSB IV relance : ajouté à la sélection déguisée en master 2 de
droit, celle prévue en master 1 et 2 d’économie va encore augmenter
considérablement la tâche des scolarités, déjà en surcharge de travail. La
scolarité approuve. Mais elle ne se défend toujours pas. Sidérant.
L’Unef se réveille et questionne sur l’utilité de cette capacité d’accueil
si elle ne mène pas à une véritable sélection. Effectivement, nous sommes
perplexes. Notre cher directeur ne parvient pas à sortir de réponse, l’assemblée
se regarde dans le blanc des yeux.
L'un dit : Je n'y vais point, je ne suis pas si sot ;
L'autre : Je ne saurais. Si bien que sans rien faire
On se quitta.
Face à cette inertie affligeante et le mépris affiché du directeur de
collège, nous sommes démunis. Il annonce le vote pour la sélection en
économie-gestion-AES (que nous avons demandé à bulletin secret). 5 contre, 3
blancs, 18 pour.
Le semblant de débat reprend avant le vote concernant les masters 2 de
droit. Le directeur de la faculté de droit justifie la dérogation par le
souhait de ne pas priver les étudiants de l’accès aux concours en bac +4. Très
louable, mais nous notons encore une fois son désintérêt total pour les étudiants
d’économie-gestion-AES voulant passer des concours. A la question des
ménestrels d’Esprit Etudiant concernant la baisse des capacités d’accueil par
rapport à l’an dernier, il répond fièrement. Pour des raisons pédagogiques d’une
part (mutualisation avec d’autres cours) mais surtout structurelles : il n’existe
sur le site de Pessac aucune salle pouvant accueillir un master 2 dont la
capacité soit supérieure à 45 places. Chers lecteurs, si vous vous promenez du
côté du bâtiment D et que vous tombez sur ces mystérieuses salles (mais bien
réelles !) que Sieur Saint Pau n’a jamais trouvé, faites-lui savoir !
Le dernier argument désespérément lancé est piètrement contré par Dame
Geng. La réorientation opérée par le recteur pour les étudiants recalés en vertu
du droit à la poursuite des études permet d’envoyer des étudiants dans des
universités qu’ils n’ont pas choisis. Mais elle n’est pas hasardeuse :
elle permet d’offrir de nouvelles opportunités aux étudiants qui n’auraient pas
su aller les chercher, trop sots qu’ils sont !
Vos serviteurs sont stupéfaits face à tant de mauvaise foi. Le vote
valide une nouvelle fois, à 6 contre, 2 blancs et 18 pour. Les paladins de l’OSB
IV ont perdu la main face à des poupées de chiffon. La bataille a viré au
carnage. Les soutiens se sont vite mis à l’abri, laissant nos deux vaillants
chevaliers en proie aux coups les plus vicieux.
J'ai maints chapitres vus,
Qui pour néant se sont
ainsi tenus :
Chapitres, non de Rats, mais chapitres de moines,
Voire chapitres
de chanoines.
Ne faut-il que délibérer,
La cour en conseillers foisonne ;
Est-il besoin d’exécuter,
L’on ne rencontre plus personne.
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